Lorsque l’Europe chantait à l’unisson l’amour et la fête
bloc 1
François Boucher. L’amour à la campagne
Influencé par Watteau, par son expérience du paysage italien, par le goût de la clientèle pour la veine rustique naturaliste dont les maîtres nordiques s’étaient fait une spécialité, François Boucher compose à partir des années 1730 une Arcadie rurale où la jeunesse se veut insouciante et enjouée. Écho populaire à la vision aristocratique et théâtrale de Watteau et de ses suiveurs, les sujets de Boucher connurent un immense succès.
En 1737-1738, pour l’hôtel Soubise à Paris, l’artiste s’exerça à une variante des sujets champêtres. Il créait alors un thème nouveau, celui de la Pastorale. Toujours rurale, la scène réunissait des bergers et des bergères qui paraissaient vêtus comme des seigneurs et semblaient insensibles aux dures conditions de la vie à la campagne. L’échange entre les pasteurs et leurs compagnes se voulait galant mais n’était pas toujours sans équivoque. Il appelait clairement à des sous-entendus à caractère sexuel. Boucher rendait alors hommage au genre littéraire de la poésie bucolique et des héros sentimentaux du théâtre de la foire, en particulier à ceux de son ami Charles-Simon Favart.
bloc 2
Jean-Honoré Fragonard. Sentiments, félicité et harmonie
Loin de s’émousser avec les décennies, l’intérêt pour les sujets galants et pastoraux conduisit la clientèle à les demander aux artistes pratiquement jusqu’à la fin du 18e siècle. Formé par Boucher, Jean-Honoré Fragonard s’illustra rapidement dans la thématique, mais avec plus de fougue, de spontanéité et de lyrisme dans sa description du sentiment amoureux. Exécutée en 1767, la toile illustrant les hasards heureux de l’escarpolette (ici figurée par la gravure) en constitue un exemple délicieusement licencieux.
Avec les années et l’évolution du goût, l’exubérance de Fragonard sembla quelque peu dépassée. L’amour de l’antique invitait la fête galante et la pastorale à évoluer vers plus de noblesse. Sous l’influence des textes de Jean-Jacques Rousseau et des travaux des physiocrates, savants théoriciens, qui, dans le respect des lois naturelles donnaient la prépondérance à l’agriculture, le monde rural fut perçu d’une manière moins idéalisée et artificielle. Aux bergers et bergères amoureux et enrubannés, les artistes préférèrent le paysan décrit dans le labeur productif et utile à la nation. Monde simple, libre et vertueux, les campagnes invitèrent à une douceur de vivre qui ne résultait plus de la chimie des sentiments, mais des bienfaits de l’agriculture et des joies simples de la vie rustique.
bloc 3
Francisco de Goya et Thomas Gainsborough
Portés par la France, les sujets de fêtes galantes, de pastorales et de scènes rustiques connurent un immense succès en Europe. De nombreux collectionneurs, souverains ou amateurs fortunés, recherchaient les œuvres des maîtres les plus célèbres, Watteau, Pater, Lancret ou bien encore Boucher. La renommée de ces derniers était telle que certains étrangers n’hésitèrent pas à leur passer directement commande, firent appel à leurs élèves ou à leurs suiveurs, ou bien encore sollicitèrent des peintres afin d’obtenir des copies de leurs œuvres. Particulièrement florissant, le marché de l’estampe aida aussi à considérablement populariser leurs créations et les rendit accessibles au plus grand nombre. En fonction du goût des commanditaires, en fonction également de la localisation en Europe, les artistes rendirent hommage aux créations parisiennes ou se tournèrent vers les exemples nordiques, David Teniers disputant à Watteau le talent des sujets champêtres et galants. L’Europe de la fête galante et de la pastorale fut, naturellement, celle des sensibilités diverses. Tout arbitraire qu’il soit, le choix d’œuvres réunies à l’occasion de l’exposition n’a pour autre but que de le souligner.