Les frères Le Nain
introduction
Les frères Le Nain ont peint au sein du même atelier. Ils signaient leurs tableaux « Lenain », sans jamais préciser le prénom. Leur qualité très variable, malgré l'unité stylistique, pose la question de la distinction des mains. Celle-ci a passionné les historiens de l'art depuis plus d'un siècle. L'exposition propose de regrouper les œuvres apparentées par la facture afin de mieux comprendre les personnalités artistiques des trois frères.
Louis
Louis : un génie méconnu ?
Louis Le Nain
Bacchus et Ariane
vers 1635
Huile sur toile
H. 102 ; L. 152
Orléans, Musée des Beaux-Arts, inv. 70.4.1
© RMN-Grand Palais (Château de Fontainebleau) / Adrien Didierjean
Louis est le plus mystérieux des frères Le Nain. Son nom est le moins fréquemment cité dans les sources anciennes. Pourtant, c'est lui qui est considéré comme le génie artistique de la famille, l'auteur de la plupart des scènes paysannes. On lui attribue un ensemble cohérent de peintures au coloris froid et restreint, mais très subtil, avec des rouges brique et des verts bouteille, aux figures puissamment campées, à la touche libre et maîtrisée, aux compositions calmes et claires, aux tendances « classiques ». Louis est en outre le seul des trois frères dont la peinture démontre un véritable sens du paysage. Généralement, on ne lui attribue pas les grands formats ou seulement comme collaborateur de son frère Mathieu. Nous pensons que le génie de Louis est plus varié qu’on ne l’imagine aujourd'hui et qu’il faut lui rendre plusieurs scènes mythologiques, comme la Victoire du Louvre et le Bacchus et Ariane d'Orléans, mais aussi quelques grands tableaux d'autels, comme les compositions de Notre-Dame-de-Paris et de Nevers.
Louis, tableaux religieux
Louis Le Nain
L'Adoration des bergers
Huile sur toile
H. 287 ; L. 140
Paris, musée du Louvre, inv. 6837
© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Stéphane Maréchalle
La réputation des Le Nain, et de Louis en particulier, a d'abord reposé sur les tableaux paysans. L'Adoration des bergers du Louvre est longtemps demeurée le seul grand tableau d'autel qui lui était attribué. Il apparaît de plus en plus que sa personnalité artistique est beaucoup plus riche qu’on ne l’imaginait. Plusieurs tableaux d'autel doivent sans doute lui être rendus, même si on ne peut exclure une possible collaboration avec Mathieu sur le Saint Michel de Nevers et la Nativité de la Vierge de Notre-Dame de Paris. Le cas des tableaux de dévotion, de plus petit format, est différent : ils sont généralement reconnus comme étant de Louis, qu'il s'agisse de la précieuse Madeleine conservée en collection particulière ou du Saint Jérôme, tout récemment réapparu.
Antoine
Antoine, portraitiste et miniaturiste
Antoine Le Nain
Réunion musicale
Signé et daté en bas à droite : « Le Nain fecit 1642 » (dernier chiffre peu lisible)
1642
Huile sur cuivre
H. 32 ; L. 40
Paris, musée du Louvre, inv. R.F. 1067
© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Michel Urtado
Antoine est l'aîné des trois frères. C'est lui qui obtient la maîtrise, donc le droit d’ouvrir un atelier lorsque les Le Nain s'installent dans l'enclos privilégié de l'abbaye de Saint-Germain-des-Prés à Paris, en 1629. Ses deux frères étant alors seulement compagnons, Antoine est, au moins juridiquement, le chef de l'atelier. La meilleure source ancienne le caractérise comme un portraitiste et un miniaturiste. Un ensemble très cohérent de tableaux de petits formats, peints sur bois ou sur cuivre, lui a été attribué. Ces œuvres montrent des couleurs brillantes, une touche d'une extrême finesse et en même temps d'une grande liberté. Les compositions sont en revanche assez sommaires avec un éclairage uni, l’alignement des figures et de nombreuses maladresses dans leurs proportions. Cependant, chaque personnage, aussi minuscule soit-il, est soigneusement individualisé, révélant ainsi un remarquable talent de portraitiste.
Mathieu
Mathieu, l'ambitieux
Mathieu Le Nain
L'Atelier
Vers 1655
Huile sur toile
H. 73 ; L. 89,8
Poughkeepsie, Frances Lehman Loeb Art Center,
Vassar College, Matthew Vassar Fund, inv. 1946.6
© The Frances Lehman Loeb Art Center, Vassar College, Poughkeepsie, New York
C'est sans conteste le plus ambitieux des trois frères. En 1633, il devient peintre ordinaire de la ville de Paris, puis lieutenant dans une milice bourgeoise. A partir de 1658, il se pare du titre de « sieur de La Jumelle » du nom d'une ferme qui lui appartient près de Laon. En 1662, il a l'insigne honneur d'être reçu dans l'ordre de Saint-Michel, mais cette distinction lui est retirée trois ans plus tard faute d'avoir pu prouver sa noblesse. Sa personnalité artistique s'est d'abord dessinée en creux, après l'attribution des tableaux en miniature à Antoine et des scènes paysannes à Louis. La datation après 1648, donc après la mort de ses deux frères, de L'Atelier du Vassar College a permis de mieux apprécier son style, au coloris contrasté, aux formes molles, à la touche dense et menue, juxtaposant les accents clairs. Mathieu peint « de pratique », sans avoir recours à l'observation directe du modèle comme ses deux frères. C'est un éclectique aux sources d'inspirations multiples, et en particulier caravagesques.
Mathieu, peintures religieuses
Mathieu Le Nain
L'Annonciation
Vers 1630-1632
Huile sur toile
H. 287 ; L. 140
Paris, église Saint-Jacques-du-Haut-Pas
© RMN-Grand Palais / Agence Bulloz
Dans l'œuvre de Mathieu, les compositions religieuses prédominent, ce que confirme son inventaire après décès en 1677, mais aussi les sources anciennes qui précisent qu'il se consacrait surtout aux « grands tableaux, comme ceux qui représentent les mystères, les martyres des saints... ». Nous proposons de lui attribuer L'Annonciation présentée sur la cimaise en milieu de salle, et peinte pour la chapelle de la Vierge au couvent des Petits-Augustins à Paris vers 1630-1632. Dans les années suivantes, Mathieu n'a pas hésité à entreprendre des compositions très ambitieuses, rassemblant un grand nombre de personnages, mais avec de plus en plus de désinvolture, aussi bien dans la touche que dans l'ordonnance.
chronologie
vers 1603-1610
Antoine, Louis et Mathieu naissent vraisemblablement à Laon. Leur père Isaac est un petit notable de cette ville : il est sergent royal au grenier à sel.
1629
Antoine est reçu maître-peintre à Paris. Les trois frères habitent ensemble rue Princesse.
vers 1630-1633
Louis et Mathieu exécutent les six grands tableaux du décor de la chapelle de la Vierge dans l’église du couvent des Petits-Augustins à Paris.
1632
Antoine reçoit la commande du portrait du prévôt des marchands et des échevins de la ville de Paris destiné à la grande salle de l’Hôtel de Ville.
1633
Mathieu devient « peintre ordinaire » de la ville de Paris et restaure à ce titre plusieurs tableaux conservés à l’Hôtel de Ville.
1641-1647
Plusieurs tableaux sont signés et datés « Le Nain » ou « Lenain », mais aucune signature ne comporte la mention du prénom.
1643
Mort de Louis XIII. La reine Anne d’Autriche assume la régence. Mazarin est son principal ministre.
1648
Les trois frères sont reçus à l’Académie royale de Peinture et de Sculpture, nouvellement fondée. Antoine et Louis décèdent brutalement trois mois plus tard. Mathieu continue à peindre.
1662
Mathieu, qui se pare du titre de « Sieur de La Jumelle », obtient le collier de l’ordre de Saint-Michel. Il est rayé des listes de l’ordre trois ans plus tard faute d’avoir pu prouver sa noblesse.
1677
Mathieu meurt à Paris vers l’âge de soixante-dix ans. Son inventaire après décès mentionne plus de deux cents tableaux.