L'enquête
introduction
L’historien de l’art qui mène l’enquête sur la vie et les œuvres des frères Le Nain peut s’appuyer sur les sources anciennes, textes et images, à sa disposition dans les archives et les bibliothèques. Les informations récoltées peuvent alors être rapprochées de celles portées par les œuvres elles-mêmes, visibles à l’œil nu (signatures) ou au contraire révélées par l’imagerie et les analyses scientifiques (radiographie, réflectographie et prélèvements). L'enquêteur est bien souvent confronté à la disparition des œuvres mentionnées dans les sources, ou inversement à l’absence de sources concernant les œuvres conservées.
Carrousel
dans les musées
L'enquête dans les musées
Les signatures
Si dès la Renaissance certains peintres ont bien pris l’habitude de signer leurs toiles et d’affirmer ainsi leur personnalité en tant qu’artiste, cette pratique reste toutefois rare en France jusqu’au 19e siècle.
L'enquête dans les musées
Les signatures
Louis et Mathieu Le Nain
La Tabagie
1643
Huile sur toile
H. 117 ; L. 137
Paris, Musée du Louvre, inv. R.F. 1969-24
© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Mathieu Rabeau
Signé et daté en bas à droite : « Lenain. fecit. 1643 »
« Le Nain a fait [ceci] [en] 1643 »
La Tabagie est le seul tableau signé des frères Le Nain connu à la fin du 18e siècle. Moins de vingt tableaux portant la signature des peintres, redécouverts progressivement aux 19e et 20e siècles, sont aujourd’hui conservés. Le prénom n’apparaît jamais ; la signature n’est donc d’aucune utilité pour distinguer les « mains » de chacun des trois frères qui travaillent dans le même atelier.
L'enquête dans les musées
Les signatures
Louis et Mathieu Le Nain
La Tabagie, détail
1643
Huile sur toile
H. 117 ; L. 137
Paris, Musée du Louvre, inv. R.F. 1969-24
© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Mathieu Rabeau
Signé et daté en bas à droite : « Lenain. fecit. 1643 »
« Le Nain a fait [ceci] [en] 1643 »
La Tabagie est le seul tableau signé des frères Le Nain connu à la fin du 18e siècle. Moins de vingt tableaux portant la signature des peintres, redécouverts progressivement aux 19e et 20e siècles, sont aujourd’hui conservés. Le prénom n’apparaît jamais ; la signature n’est donc d’aucune utilité pour distinguer les « mains » de chacun des trois frères qui travaillent dans le même atelier.
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Les signatures
Louis Le Nain
Vénus dans la forge de Vulcain
1641
Huile sur toile
H. 150 ; L. 117
Reims, musée des Beaux-Arts, inv. 922.21
© Musée des Beaux-Arts de Reims / Photo : C. Devleeschauwer
Signé et daté en bas à droite : « Lenain Pin. Ao. 1641. »
« Le Nain a peint [ceci] en l’année 1641 »
Parmi les tableaux signés des frères Le Nain aujourd’hui conservés, une quinzaine sont également datés. Celui-ci est l’un des plus anciens : il porte la date de 1641. Les plus récents sont malheureusement antérieurs à la mort d’Antoine et Louis en 1648 ; un tableau postérieur aurait pu être attribué au seul Matthieu, et constituer une clef dans la distinction des trois personnalités.
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Les signatures
Louis Le Nain
Vénus dans la forge de Vulcain, détail
1641
Huile sur toile
H. 150 ; L. 117
Reims, musée des Beaux-Arts, inv. 922.21
© Musée des Beaux-Arts de Reims / Photo : C. Devleeschauwer
Signé et daté en bas à droite : « Lenain Pin. Ao. 1641. »
« Le Nain a peint [ceci] en l’année 1641 »
Parmi les tableaux signés des frères Le Nain aujourd’hui conservés, une quinzaine sont également datés. Celui-ci est l’un des plus anciens : il porte la date de 1641. Les plus récents sont malheureusement antérieurs à la mort d’Antoine et Louis en 1648 ; un tableau postérieur aurait pu être attribué au seul Matthieu, et constituer une clef dans la distinction des trois personnalités.
L'enquête dans les musées
L’imagerie et les analyses scientifiques
L’examen scientifique permet aujourd’hui de mieux connaître l’état de conservation des œuvres et d’apporter une aide à la restauration, mais aussi d’appréhender la technique des artistes et de fournir un faisceau d’éléments aidant au diagnostic d’identification.
L'enquête dans les musées
L’imagerie et les analyses scientifiques
Louis et Mathieu Le Nain
Paysans dans une creutte
Vers 1642
Huile sur toile
H. 78,8 ; L. 91,5
Petworth House, collection Egremont, comté du Sussex ouest, Angleterre, acquis en paiement d’impôts en 1957 (H. M. Treasury), puis transféré au National Trust
© Petworth House, Sussex, UK / The Egremont Collection / National Trust Photographic Library/John Hammond / Bridgeman Images
La radiographie est utilisée pour l’analyse de tableaux depuis la fin du 19e siècle. Les rayons X qui traversent la couche picturale sont absorbés par celle-ci proportionnellement au numéro atomique des éléments touchés avant d’atteindre le film disposé à l’arrière de la toile.
La radiographie révèle une composition cachée. Un premier frère Le Nain a d’abord disposé ses personnages sur un fond de paysage ; un second frère a ensuite réutilisé la toile et créer l’habitation troglodytique qui est visible aujourd’hui. La réutilisation d’une toile renseigne sur une pratique qui semble avoir été courante dans l’atelier des frères Le Nain, et au-delà, sur le marché de l’art de l’époque.
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L’imagerie et les analyses scientifiques
Louis et Mathieu Le Nain
La Tabagie
1643
Huile sur toile
H. 117 ; L. 137
Paris, musée du Louvre, inv. R.F. 1969-24
© RMN-Grand Palais (musée du Louvre) / Mathieu Rabeau
La réflectographie est utilisée pour l’analyse des tableaux depuis les années 1970. Les rayons infrarouges, qui traversent le vernis et certains pigments, vont se réfléchir sur la préparation blanche mais être absorbés par le dessin sous-jacent ou les superpositions de couches picturales ; dès lors, ces derniers apparaissent en négatif sur l’image de la réflectographie.
La réflectographie révèle la présence d’un portrait en pied d’un personnage, très largement inachevé, dans le sens de la hauteur. Peut-être à la suite de l’annulation de la commande, la toile a été abandonnée avant d’être réutilisée pour peindre la Tabagie.
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L’imagerie et les analyses scientifiques
Louis et Mathieu Le Nain
La Tabagie, réflectographie
1643
Huile sur toile
H. 117 ; L. 137
Paris, musée du Louvre, inv. R.F. 1969-24
© C2RMF / Jean-Louis Bellec
La réflectographie est utilisée pour l’analyse des tableaux depuis les années 1970. Les rayons infrarouges, qui traversent le vernis et certains pigments, vont se réfléchir sur la préparation blanche mais être absorbés par le dessin sous-jacent ou les superpositions de couches picturales ; dès lors, ces derniers apparaissent en négatif sur l’image de la réflectographie.
La réflectographie révèle la présence d’un portrait en pied d’un personnage, très largement inachevé, dans le sens de la hauteur. Peut-être à la suite de l’annulation de la commande, la toile a été abandonnée avant d’être réutilisée pour peindre la Tabagie.
dans les archives
L'enquête dans les archives
Sur la vie des frères Le Nain
Sous l’Ancien Régime comme aujourd’hui, un grand nombre d’actes sont passés devant des notaires. Les documents originaux ou « minutes » des notaires parisiens du 17e siècle sont conservés aux Archives nationales.
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Sur la vie des frères Le Nain
Partage des biens d’Isaac Le Nain (8 août 1630)
A.N. MC étude Marreau, XCVIII
Retranscription partielle :
« Furent présents en leur personne Isaac Le Nain, sergent royal […] à Laon, et Nicolas Le Nain […], demeurant rue des Escouffes, paroisse Saint-Gervais, Antoine Le Nain, maître peintre, Louis et Mathieu Le Nain, compagnons peintres, demeurant ensemble en ladite rue Princesse, lesdits Nicolas, Antoine, Louis et Mathieu […] enfants dudit Isaac Le Nain […]. »
« [Isaac] est redevable à sesdits enfans de [ces biens] pour en jouir par lesdits enfants par indivis en attendant que chacun d’eulx ait atteint l’âge de majorité […]. »
« Le huitième jour d’août 1630 à Paris »
L’acte porte les signatures des trois peintres, celle de leur père Isaac et celle de leur frère aîné Nicolas. Il renseigne non seulement sur la composition et la fortune de la famille, mais aussi sur l’âge des frères : au moins l’un d’entre eux n’a pas atteint 25 ans, l’âge de la majorité au 17e siècle, en 1630. En l’absence de tout document sur leur naissance, la mention devient un indice pour en situer la date vers 1603-1607.
Les trois frères peintres vivent ensemble en 1630 ; ils partagent la même maison. Celle-ci se situe rue Princesse, près de l’abbaye Saint-Germain-des-Prés à Paris. C’est dans ce quartier que s’installent les peintres provinciaux et étrangers qui arrivent dans la capitale sous Louis XIII.
L'enquête dans les archives
Sur les œuvres des frères Le Nain
Commande du décor de la chapelle de la Vierge (9 août 1633)
A.N. MC étude Lemoyne, CX 79
Retranscription partielle :
« Je soussigné Mathieu Le Nain, peintre demeurant au fauxbourg St Germain, rue Princesse confesse avoir ce jourd’huy neuvième jour d’août [1633] d’avoir fait marché avec le père dom Jehan Gaucher religieux, prêtre et profès de l’abbaye dudit St Germain des Prés, pour peindre le reste de la chapelle Notre-Dame, dite la Carolle, savoir toute la voute et la moitié du lambris qui reste à peindre, le lambris de dedans, les deux fenêtres, l’arcade de la chapelle […], les trois niches. Et quant à la qualité des peintures, je m’oblige de les faire et parfaire ainsi qu’il s’ensuit, sçavoir dans la voûte y peindre au milieu un st Esprit dans un ciel accompagné d’anges, et au deux aisles, sçavoir en l’une l’Assomption de la Vierge et en l’autre le Couronnement de la Vierge […]. »
La commande du décor de la chapelle de la Vierge de l’église de l’abbaye Saint-Germain-des-Prés est la mieux connue de la carrière de Mathieu Le Nain et suggère à elle seule la place importante de l’artiste dans le domaine de la peinture religieuse.
Il ne reste rien aujourd’hui du décor de la chapelle de la Vierge, qui aurait pu constituer une référence pour connaître l’œuvre de Mathieu Le Nain. Inversement, aucune trace des tableaux religieux conservés, qu’il s’agisse de la Nativité de la Vierge attribuée à Louis Le Nain ou de l’Annonciation de Mathieu Le Nain, n’a pu être retrouvé dans les archives de l’époque.
L'enquête dans les archives
Sur les œuvres des frères Le Nain
Paiement de Mathieu Le Nain (fabrique de l’église Sainte-Benoîte de Laon)
1657
Laon, Archives départementales de l’Aisne
G 2406 - Fols. 29v-30r
Retranscription partielle :
« Item a esté paié a Nicolas Le Nain sergent dem[euran]t en ceste ville comme aiant charge dud. Le Nain son frère peintre la somme de vingt livres pour avoir faict un tableau ou est représenté Dieu le père comme appert par sa quictance cy représentée XX lt. »
Les archives de l’église paroissiale Sainte-Benoîte de Laon ont été versées aux Archives départementales de l’Aisne. Parmi les documents conservés, un compte rendu des recettes et dépenses de la fabrique de la paroisse mentionne le nom de Le Nain, payé pour l’exécution de deux tableaux, d’une part un Christ ressuscité, d’autre part un Dieu le Père.
Les deux tableaux perdus restent encore à découvrir, à moins qu’ils aient été détruits. Malgré tout, ce document découvert récemment est d’une importance capitale puisqu’il nous apprend que Mathieu Le Nain, qui survit à ses deux frères, peint encore après leur mort en 1648. On ignore quasiment tout de son activité jusqu’à sa mort en 1677.
dans les bibliothèques
L'enquête dans les bibliothèques
Les sources imprimées
Dès avant la redécouverte des trois peintres au 19e siècle, des textes et des gravures sont imprimées faisant allusion, de manière plus ou moins directe, aux Le Nain. L’historien enquêteur qui aborde ses sources doit le faire plus prudemment, pour tenir compte de l’interprétation des auteurs.
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Les sources imprimées
Jean Daullé
L’École champêtre
1768
Eau forte
Abbeville, musée Boucher de Perthes
© RMN-Grand Palais / Thierry Ollivier
Retranscription :
« Peint par Le Nain »
La lettre de la gravure, c’est-à-dire le texte associé à l’image, précise que la gravure a été exécutée d’après un tableau peint par Le Nain. Cette « attribution » est aujourd’hui totalement abandonnée.
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Les sources imprimées
Jean Daullé
L’École champêtre
1768
Eau forte
Abbeville, musée Boucher de Perthes
© RMN-Grand Palais / Thierry Ollivier
Retranscription :
« Peint par Le Nain »
La lettre de la gravure, c’est-à-dire le texte associé à l’image, précise que la gravure a été exécutée d’après un tableau peint par Le Nain. Cette « attribution » est aujourd’hui totalement abandonnée.
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Les sources imprimées
André Félibien
Les Entretiens sur les vies et sur les ouvrages des plus excellents peintres anciens et modernes
1688
Source : Bibliothèque nationale de France, département Arsenal
Sous la forme d’une discussion entre le narrateur, qui écrit à la première personne, et son interlocuteur et ami Pymandre, Félibien retrace l’histoire de la peinture depuis l’Antiquité.
Le passage révèle le manque de considération des amateurs de la fin du 17e siècle pour les frères Le Nain et leurs tableaux.
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Les sources imprimées
André Félibien
Les Entretiens sur les vies et sur les ouvrages des plus excellents peintres anciens et modernes
1688
Source : Bibliothèque nationale de France, département Arsenal
Sous la forme d’une discussion entre le narrateur, qui écrit à la première personne, et son interlocuteur et ami Pymandre, Félibien retrace l’histoire de la peinture depuis l’Antiquité.
Le passage révèle le manque de considération des amateurs de la fin du 17e siècle pour les frères Le Nain et leurs tableaux.
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Les sources imprimées
Louis Moreau du Bail
Les Galanteries de la Cour
Source : Bibliothèque nationale de France, département Arsenal
Le roman des Galanteries de la Cour met en scène des courtisans ; l’un d’entre eux présente trois frères peintres, prénommés Florange, Silidas et Polidon, dont le talent et la réputation en font des artistes recherchés par la Cour. Encouragés par la date de publication de l’ouvrage et par les analogies avec ce que l’on connaît par ailleurs des frères Le Nain, les historiens ont fait du roman une source de premier ordre dans la connaissance de ces derniers.
L’ouvrage, en distinguant des genres, permet de cerner trois personnalités. Le premier excelle dans les portraits, le deuxième dans les tableaux miniatures ; quant au troisième, il paraît être le plus habile dans la science de « dessiner et inventer ». Il est cependant difficile d’aller au-delà et de reconnaître chacun des trois frères dans ces trois personnalités.
L'enquête dans les bibliothèques
Les sources imprimées
Louis Moreau du Bail
Les Galanteries de la Cour
Source : Bibliothèque nationale de France, département Arsenal
Le roman des Galanteries de la Cour met en scène des courtisans ; l’un d’entre eux présente trois frères peintres, prénommés Florange, Silidas et Polidon, dont le talent et la réputation en font des artistes recherchés par la Cour. Encouragés par la date de publication de l’ouvrage et par les analogies avec ce que l’on connaît par ailleurs des frères Le Nain, les historiens ont fait du roman une source de premier ordre dans la connaissance de ces derniers.
L’ouvrage, en distinguant des genres, permet de cerner trois personnalités. Le premier excelle dans les portraits, le deuxième dans les tableaux miniatures ; quant au troisième, il paraît être le plus habile dans la science de « dessiner et inventer ». Il est cependant difficile d’aller au-delà et de reconnaître chacun des trois frères dans ces trois personnalités.
L'enquête dans les bibliothèques
Les sources manuscrites
Claude Leleu écrit une Histoire de Laon avant 1726. L’ouvrage de cet historien local n’a finalement jamais été publié, mais le manuscrit est conservé à la Bibliothèque municipale de la Ville.
L'enquête dans les bibliothèques
Les sources manuscrites
Claude Leleu
Histoire de Laon divisée en 8 livres
Laon, Bibliothèque municipale
Extrait :
« Dans ce temps commencèrent à fleurir trois habilles peintres natifs de la ville de Laon, qui étaient frères, et vivaient dans une parfaite union, savoir Antoine, Louis et Mathieu Le Nain. Ils suivirent le goût et l’inclinaison qu’ils avaient pour la peinture, ils furent formés dans cet art par un peintre étranger qui les instruisit, et leur montra les règles de l’art à Laon, pendant l’espace d’un an, de là ils passèrent à Paris où ils se perfectionnèrent […]. »
Le passage renseigne sur l’origine picarde des trois frères, mais aussi sur leur formation. Leur passage dans l’atelier d’un « peintre étranger » que l’on pourrait imagine flamand ou néerlandais n’a été confirmé dans aucune autre source.
L'enquête dans les bibliothèques
Les sources manuscrites
Claude Leleu
Histoire de Laon divisée en 8 livres
Laon, Bibliothèque municipale
Extrait :
« Leurs caractères étaient différents. Antoine, qui était l’aîné, […] excellait pour les miniatures et les portraits en raccourci. Louis, le cadet, réussissait dans les portraits qui sont à demi-corps et en forme de buste. Mathieu qui était le dernier était pour les grands tableaux, comme ceux qui représentent les mystères, les martyres des saints, les batailles et semblables. »
L’auteur caractérise chacune des personnalités en mettant en avant des genres de prédilection. L’information peut être croisée avec celle du passage des Galanteries de la Cour.