LA RESTAURATION D'UNE PEINTURE QAJARE
La restauration exceptionnelle de la Danseuse aux cymbalettes, tableau prochainement présenté dans l'exposition « L'Empire des roses. Chefs-d'œuvre de l'art persan du 19e siècle » (28 mars-22 juillet 2018) a été confiée par les musées de Carpentras à Dounia Tahiri (restauratrice couche picturale) et Amalia Ramanankirahina (restauratrice support). Cette opération a lieu dans les ateliers du Louvre-Lens du 18 janvier au 16 mars 2017.
Comprendre
La Danseuse aux cymbalettes appartient à un ensemble de toiles rapportées d’Iran par le peintre Jules Laurens (1825-1901) qui accompagne la mission scientifique de Hommaire de Hell en 1848. Il en a fait don à la bibliothèque-musée Inguimbertine de Carpentras, ville d'où il est originaire. L'exposition « L'Empire des roses » (28 mars-22 juillet 2018) permettra de découvrir d'autres œuvres de cette collection.
Le tableau représente une danseuse anonyme, tenant dans ses mains des cymbalettes. La bibliothèque-musée Inguimbertine de Carpentras conserve une Danseuse au tambourin comparable, de même provenance et déjà restaurée en 2004, qui sera également présentée dans l'exposition « L'Empire des roses » (28 mars-22 juillet 2018).
L'art du portrait en Iran au 19e siècle
Les portraits peints à l’huile sur toile sont l’une des productions emblématiques de l’art qajar. De grandes dimensions, ils viennent orner les niches des palais et des grandes résidences privées. Ainsi, les portraits féminins, princesses, danseuses ou musiciennes, font-ils partie intégrante d’un programme décoratif destiné à glorifier les richesses de l’Empire et les fastes de la cour.
L'image de la beauté féminine
Bien qu’il ne s’agisse pas ici d’un portrait à proprement parler, mais d’une représentation canonique de la beauté féminine, le peintre rend avec grande précision le costume de la musicienne, dont la jupe longue et évasée, la veste cintrée et les ornements de perles, correspondent à la mode mise en place sous le règne de Fath Ali Shah (1897-1834), deuxième représentant de la dynastie.
Constat d'état
Cet examen approfondi de l'œuvre, préalable à toute intervention de restauration, permet de recenser toutes les zones de fragilité. Par la suite, chaque étape de la restauration est documentée. Le dossier de l'œuvre doit garder mémoire des interventions.
Principales étapes de la restauration
Le but du traitement est de stabiliser l’état de conservation de l'œuvre, tant au niveau du support que de la couche picturale, et de lui redonner une unité esthétique. L'état de conservation du support entoilé nécessite une consolitation générale, qui débutera par un désentoilage (retrait de la toile collée au revers de la toile originale lors d'une précédente restauration). Un nouveau doublage en matériau synthétique sera ensuite posé au revers de la toile originale. Le traitement de la couche picturale consistera quant à lui à effectuer un décrassage, à refixer localement les soulèvements et à réintégrer les lacunes les plus gênantes esthétiquement.
Après la restauration
Le tableau sera présenté dans la prochaine exposition du Musée du Louvre-Lens, consacrée à l'art iranien sous la dynastie Qajar (28 mars-22 juillet 2018).
Suivre
Premières analyses et décrassage de la couche picturale
18 et 19 janvier 2018
© Louvre-Lens / S.V.
L'œuvre a quitté la bibliothèque-musée Ingimbertine de Carpentras. Son transport jusqu'au Louvre-Lens a été assuré par une entreprise spécialisée. Dans les ateliers de restauration, près des réserves du musée, le tableau est sorti de sa caisse, en présence des convoyeurs, des régisseurs et des restaurateurs. Des photographies sont prises, et un premier constat d'état est effectué : le document gardera mémoire de l'état de l'œuvre avant les premières interventions de restauration.
La couche d'apprêt rouge est bien visible, en raison de la dégradation de la couche picturale supérieure. L'analyse stratigraphique permet d'en savoir davantage ; elle révèle la superposition des couches de peintures, et certaines spécificités de la peinture qajare, comme le travail sur les reliefs, les contrastes de reflets et de matités, ou encore l'emploi d'une couche cuivrée ou dorée pour mettre en valeur certains éléments comme les cymbalettes. L'observation de la couche aux rayons utraviolet (UV) met en évidence les zones repeintes ainsi que les repentirs du peintre au niveau des manches du vêtement et de l'emplacement des cymbalettes.
La restauration peut débuter à proprement parler. Elle commence par un léger décrassage à l'éponge et à l'eau de la couche picturale. Les zones les plus fragiles sont repérées et refixées, pour éviter les pertes de matière lors des opérations suivantes.
Retrait du châssis
25 et 26 janvier 2018
© Louvre-Lens / S.V.
Le tableau a déjà subi une restauration ancienne. Depuis l'époque moderne, il est en effet courant de consolider les toiles peintes par une toile en lin décatie fixée sur leur revers à l'aide d'une colle à base de peau de lapin ; c'est cette toile de consolidation qu'il convient ici d'examiner.
Le châssis est d'abord retiré. Son mauvais état de conservation, qui le rend trop fragile, ne permettra pas de le réutiliser. L'examen de la toile de consolidation révèle en revanche un meilleur état qu'espéré initialement ; la restauratrice prend donc la décision de la conserver. Une remise au format sur un nouveau châssis plus grand est toutefois décidée ; lors de la précédente restauration, la partie inférieure de la toile avait en effet été repliée, faisant disparaître une partie de la chaussure de la danseuse. Déplier les bords permet de retrouver la totalité de la surface peinte. Quelques petites déchirures sont enfin consolidées.
Consolidation de la toile et de la couche picturale
1er, 2, 15 et 16 février 2018
© Louvre-Lens / G.L. / L.V.
La restauratrice procède au recollage de la toile peinte sur sa toile de rentoilage, qui se décolle sur les bords. L'insertion d'une feuille teinte en marron entre les deux toiles permet de dissimuler les trous de fixation à l'ancien châssis.
La couche picturale est relativement abimée. L'œuvre a en effet été roulée sur un fin cylindre au cours de son histoire, occasionnant de nombreux plis de la couche picturale. Toutes les lacunes ne seront pas réintégrées de manière illusionniste. La restauratrice encolle toute la surface de la couche picturale avec une colle d'esturgeon, qui pénètre dans les couches stratigraphiques et refixe les écailles. Pour éviter que la toile ne gondole, une mince feuille de papier (de type papier Japon) est posée après l'encollage sur la couche picturale pendant l'opération. Cette dernière terminée, la restauratrice retire à l'eau la feuille de papier et la colle résiduelle.
Pose de la toile sur un nouveau châssis
1er et 2 mars
© Louvre-Lens / S.V.
La restauratrice a réalisé des bandes de papiers peints à l’acrylique afin de les intégrer entre la toile originale et la toile de doublage dans le but de retrouver le format initial du tableau. Des bandes de toile sont fixées afin de consolider tous les bords avant de tendre la toile sur le nouveau châssis.
Cartel
Iran
Vers 1820-1840
Danseuse aux cymbalettes
Huile sur toile
H. 160 cm ; l. 93,2 cm
Carpentras, bibliothèque-musée Inguimbertine
© Carpentras, bibliothèque-musée Inguimbertine